DÉVELOPPEMENT TECHNIQUE DE L'INTERNET |
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RéglementationsContexte international - Situation en France - Recommandations - Références
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L'objet de ce chapitre est de mettre en évidence les liens entre le développement technique de l'Internet et l'évolution des réglementations. En aucun cas, ce chapitre ne doit être lu comme une analyse, encore moins comme un projet pour définir l'environnement réglementaire de la société de l'information. Le déploiement de l'Internet a d'ores et déjà sollicité les législations existantes en créant des situations nouvelles et en initialisant ainsi des débats aujourd'hui encore largement ouverts. La construction de l'environnement réglementaire de la société de l'information demandera beaucoup d'efforts complémentaires aux niveaux national et international.
La dérégulation des télécommunications est une condition nécessaire au développement technique de l'Internet
Le développement technique de l'Internet est facilité par la dérégulation des télécommunications qui est désormais largement engagée à travers le monde. Une des raisons majeures du succès d'Internet est sa capacité à exploiter, et donc, à mettre en concurrence les nombreuses technologies de communication disponibles. Par ailleurs, grâce à la modularité de l'architecture de l'Internet, les applications ou services peuvent être développés et mis en place par les fournisseurs sans avoir à se préoccuper des composants de l'infrastructure. Les bénéfices de cette architecture ne peuvent effectivement être opérationnels que dans un environnement ouvert à la concurrence. Plus la dérégulation est effective, plus l'architecture de l'Internet peut être exploitée pour fournir les meilleures réponses aux questions posées (performance de la boucle locale, décentralisation des services d'infrastructure par exemple). Les pays où la dérégulation est la plus avancée, en particulier les Etats-Unis, peuvent ainsi bénéficier pleinement des initiatives nouvelles et tirer le meilleur parti des potentialités de l'Internet.
L'environnement réglementaire du développement technique de l'Internet pose des questions nouvelles
Par ailleurs, le rôle d'infrastructure pour la société de l'information associe le développement de l'Internet à d'autres réglementations relatives à des questions aussi variées que
Sur tous ces sujets, le développement technique de l'Internet doit fournir des réponses appropriées à des questions "classiques" (c'est à dire déjà traitées pour d'autres moyens de communication) dans des conditions "nouvelles" (élargissement du nombre des auteurs, facilité d'accès aux sources d'information).
De manière générale, la construction de l'environnement réglementaire de la convergence est un défi majeur présenté à la communauté internationale. L'Internet a atteint un stade de développement suffisant pour que les interactions entre l'environnement réglementaire et le développement technique constituent désormais un des facteurs décisifs dans la poursuite de la dynamique de déploiement.
L'environnement réglementaire peut ralentir le développement technique de l'Internet
Né dans l'environnement académique, l'Internet a longtemps été un espace ouvert à la collaboration et à l'échange libre d'informations et d'idées. Le développement technique de l'Internet a bénéficié alors d'une dynamique, conduite par l'IETF, originale et surtout très efficace. Le déploiement dans le grand public et dans les entreprises a ensuite été soutenu par la naissance de nouvelles entreprises et la reconversion d'entreprises existantes. Continuant à profiter d'une dynamique renouvelée, l'Internet est devenu, en quelques années, la plateforme technique du développement de la société de l'information. De nombreuses expériences ont mis en évidence que les usages de l'Internet devaient être confrontés aux législations et réglementations en vigueur. L'ampleur du déploiement demande à présent que les débats sur les adaptations nécessaires soient entrepris et les résolutions mises en oeuvre. Le risque de "crainte, incertitude, doute" est devenu désormais important. Quelques exemples illustrent cette tendance :
Ces questions doivent, de plus, recevoir des réponses cohérentes au niveau international. Pour la première fois de son histoire, l'Internet est ainsi confronté à des risques sérieux d'inertie. Sans rechercher l'exhaustivité, quatre sujets permettent d'illustrer les relations, voire les difficultés à faire évoluer de manière cohérente technologies et réglementations.
Donner à l'Internet un environnement de "sécurité" où les fournisseurs et consommateurs d'informations puissent maîtriser les conditions d'accès, est un sujet ouvert depuis longtemps. L'IETF a établi une règle systématique selon laquelle chaque nouvelle spécification doit comporter une section traitant des relations entre la spécification et les questions de sécurité. La variété des législations en vigueur a fait de ce sujet le premier exemple des difficultés à associer un environnement réglementaire et le développement technique d'une nouvelle infrastructure.
L'importance du sujet a ainsi engendré de nombreuses initiatives à travers le monde. Des résultats concrets ont été obtenus. La France, par exemple, a amendé à deux reprises (1996, 1999) la réglementation dans le sens de la libéralisation de l'usage de la cryptologie. Parmi d'autres initiatives, l'Europe a récemment approuvé un cadre commun pour les signatures électroniques.
Il reste que les restrictions de la législation américaine relatives à l'importation et à l'exportation d'outils de cryptologie constituent une barrière importante au déploiement équilibré du commerce électronique dans le monde.
Le déploiement du Web a posé de manière accrue les questions de protection de la vie privée. En l'absence d'accord international, la question est aujourd'hui totalement ouverte. Les négociations récentes montrent des progrès réels mais modestes. Les contradictions entre les positions des fournisseurs de services pour lesquels la connaissance de leurs clients est un atout décisif de positionnement, voire de recettes (publicité) d'une part, et les droits des usagers à protéger leur vie privée d'autre part, ne sont pas traitées de la même façon à travers le monde. L'Europe s'appuie sur une directive désormais transposée dans pratiquement tous les pays de l'union. La France devrait avoir accompli la transposition à la fin de l'année 1999.
Il reste que la lenteur des négociations internationales peut introduire un doute sur le déploiement de services globaux et sur la généralisation (ou non) de modèles économiques reposant sur la publicité.
Développé à l'initiative du ministère de la défense américain et avec le financement du gouvernement fédéral, l'Internet a été longtemps libéré des contraintes de propriété industrielle. Les protocoles développés par l'IETF tels que les protocoles TCP-IP, mais aussi nombre de protocoles complémentaires, ont ainsi été définis de manière ouverte, offrant à chacun la possibilité de concentrer sa créativité sur leur mise en oeuvre logicielle. Le Web, développé au CERN, centre de recherche européen en physique des hautes énergies, a également bénéficié de cette vision selon laquelle les technologies diffusantes ("enabling technologies") doivent être mises à la disposition de la communauté sans restriction de propriété. "TCP-IP et le Web n'appartiennent à personne ou appartiennent à tout le monde." Cette situation a été renforcée jusqu'à présent par le fait que les logiciels étaient soumis aux réglementations relatives à la propriété intellectuelle (droits d'auteur, copyrights) plutôt qu'à celles de la propriété industrielle (brevets).
Depuis quelques années, aux Etats-Unis en particulier, la tendance s'est inversée et la brevetabilité des logiciels a été reconnue. L'Europe s'apprêterait à suivre la même voie. Ce changement a d'ores et déjà une influence sur l'évolution de l'Internet et du Web. Attirées par la perspective d'un positionnement favorable, de nombreuses entreprises déposent massivement des brevets sur des sujets souvent largement traités mais absents du corpus de propriété industrielle. On peut s'attendre à une régulation par la jurisprudence lors des premiers procès où l'antériorité éventuelle de l'innovation sera mise en évidence.
Il reste que la floraison de brevets fait peser désormais une incertitude sur les conditions d'usage des nouvelles fonctionnalités de l'Internet.
L'Internet et le Web ont banalisé la fonction de publication. L'automatisation de la chaîne d'édition-publication-consultation met en jeu des acteurs nouveaux (auteurs, éditeurs de site, hébergeurs, transporteurs, fournisseurs d'accès). Etablir les responsabilités en cas de publication de contenus illicites demande une réflexion (en cours), une adaptation des législations en vigueur et la prise en compte du caractère international de l'infrastructure.
Le développement d'outils de description de contenus (métadonnées) donnera un cadre technologique à ces questions. Le déploiement de ces technologies est, de toute façon, nécessaire pour tirer le meilleur parti des informations disponibles sur le Web. L'émergence du Web sémantique doit permettre d'exploiter les moyens informatiques pour aider l'utilisateur à
L'usage de ces technologies pour permettre de traiter la question des responsabilités est encore à construire.
Il reste que la crainte d'être tenu pour responsable de comportements illicites pour lesquels le contrôle n'est pas praticable est un frein important au développement de l'Internet.
La France peut prendre une position originale en Europe et dans le Monde
La rencontre de l'Internet et des réglementations fait appel à des acteurs et à des expertises nouveaux. Le handicap accumulé par la France, au fil des ans, dans le domaine technique est moins significatif. De plus, l'expérience issue de l'usage des services télématiques peut être mise à contribution pour prendre une position originale. Enfin, la dérégulation des télécommunications est suffisamment récente en Europe pour que la mise en oeuvre au niveau national soit adaptée pour tenir compte de l'émergence de l'Internet.
A travers le monde, le développement de la boucle locale constitue le principal problème posé aux développeurs de l'infrastructure. Ce développement est un difficile problème technique et économique. Cependant, la faisabilité des solutions est largement dépendante des aspects réglementaires de la dérégulation. Les possibilités techniques sont nombreuses :
La disponibilité de chaque solution est directement influencée par l'environnement réglementaire qui permet de déterminer les responsabilités et champs d'activité de chacun des acteurs, privés et publics. En France, les expériences vécues durant les deux dernières années ont favorisé la prise de conscience. Il reste à fixer des objectifs quantitatifs et engager les mises en oeuvre. L'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART) a un rôle décisif à jouer sur ce sujet.
La récente décision de libéralisation de la cryptologie a fait passer la France au rang des acteurs "réels" du développement technique de l'Internet.
L'ensemble du dispositif réglementaire permettant de favoriser les échanges électroniques et d'améliorer la confiance de tous les acteurs (voir à ce sujet le rapport du Conseil d'Etat "Internet et les réseaux numériques") doit être cohérent et s'inscrire dans une perspective à long terme. Les décrets techniques de 1999 ont fixé les seuils de taille de clés pour l'utilisation de mécanismes de cryptologie. Il convient désormais de définir le statut des certificats et signatures faits en utilisant ces mécanismes. De plus, les obligations en matière de preuve et de recouvrements des clés (pour les émetteurs ou destinataires de messages chiffrés par exemple) doivent être explicités. Les répercussions techniques (notarisation, séquestre des clés...) des obligations légales peuvent avoir une influence importante sur la disponibilité des outils et services et leur usage effectif.
L'expérience bâtie au sein de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) doit être exploitée pour construire une pratique concrète de la protection de la vie privée sur Internet. Pour avoir un réel impact sur la discussion en cours au niveau international, le développement d'expérimentations est essentiel.
La relation entre la propriété industrielle et le développement technique de l'Internet a changé de nature lors de l'année écoulée avec l'apparition de brevets pour les logiciels. La France et l'Europe sont aujourd'hui sur le point de faire évoluer leur position. L'occasion est bonne pour entamer une réflexion d'envergure sur ce thème et faire des propositions constructives pour sortir l'Internet de l'impasse dans laquelle il est sur le point de s'engager.
Les tentatives de protection contre les contenus et comportements illicites ont jusqu'à présent été limitées dans leur déploiement. La disponibilité de technologies plus puissantes telles que les métadonnées (Resource Description Framework développé par le W3C) ouvre de nouvelles opportunités. L'association de l'expérience acquise grâce aux services télématiques (minitel) et des fonctionnalités récentes de l'Internet (RDF) peut donner à la France l'occasion d'une percée originale et de portée universelle.
Reconnaître l'Internet comme la plateforme de la convergence entre l'informatique, les télécommunications et l'audiovisuel
La France peut jouer un rôle important dans l'évolution de l'environnement réglementaire de l'Internet au niveau mondial. Pour qu'elle soit reconnue dans ce rôle, l'approche pragmatique de l'Internet doit être adoptée. Donner la priorité aux expérimentations doit permettre de soutenir les positions européennes (sur la protection de la vie privée, par exemple) en s'appuyant sur des résultats concrets. De manière à bâtir une réglementation réaliste (dans ses dimensions techniques, économiques et sociales), il est important de faire participer les acteurs et d'encourager le dialogue. La médiation doit être préférée à la régulation.
Dans les cinq années qui viennent, en attendant que l'environnement réglementaire de l'Internet soit stabilisé au niveau mondial, mettre le développement technique en première priorité peut demander la mise en place de moratoires dans l'exercice des législations existantes.
La confiance ne sera généralisée, à terme, que par la stabilisation de l'environnement réglementaire. Chaque mesure transitoire doit être expliquée et présentée dans la perspective de la construction de l'environnement législatif de la convergence.
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